BERNARD PENALBA
« Paraboles du végétal »
2 juillet > 1er août 2015
Bernard Pénalba a retrouvé l’Eden perdu en explorant les innombrables formes qu’inventent les espèces végétales pour, grâce à leurs feuilles, absorber la lumière, capter ou laisser s’évaporer l’eau précieuse, abriter les feuilles inférieures, résister aux aléas climatiques, se hisser. Depuis de nombreuses années, dans ses carnets et sur de grandes feuilles, il consigne ces infinies variations dues au hasard et aux nécessités de la vie ou de la survie.
Tel un typographe, après les avoir plongées dans une encre d’un noir profond, Bernard Pénalba applique délicatement les feuilles sur du papier afin d’en garder l’empreinte et d’en découvrir l’essence et le langage. Gentiane, bananiers, acanthe, palmiers, herbes folles sont autant de lettres de cet alphabet fait de nervures, courbes, lobes, pointes et intervalles. Il y a derrière ce travail une recherche approfondie sur le fragile équilibre entre vides et pleins, déterminisme et aléas, ces derniers marquant la limite entre le travail du graphiste et celui de l’artiste qui accepte de se laisser guider et non de contrôler.
Jusqu’à récemment, Bernard Pénalba réservait son travail d’artiste à un cercle restreint. Après plusieurs décennies sans exposition, il confie à la galerie XENON quelques « paraboles végétales » qu’il souhaite partager avec le public bordelais.
Thierry Fahmy
Les œuvres que nous présente Bernard Pénalba sont de deux types et relèvent de deux démarches distinctes : l’une, synthétique, vise à produire une totalité par l’emploi qui est fait du cercle, figure totalisante et symbole cosmique par excellence ; l’autre, analytique, cherche à saisir des individualités en donnant à voir les différences qui singularisent les individus d’une même espèce végétale.
Dans le premier type de productions, le dessin des fibres végétales (herbes, tiges, rhizomes) disposées autour d’un centre et enserrées dans un cercle, crée l’image d’un univers réticulaire complexe, aléatoire, tourbillonnant, et néanmoins ordonné. Toute une série de contrastes frappe le regard et l’imagination. Contraste entre la forme géométrique parfaite de l’orbe et les entrelacs erratiques des impressions végétales. Contraste entre la circularité solaire de la forme, qui évoque une manière de cosmos, et les arabesques que composent les herbes entremêlées, renvoyant aux obscures gestations de la terre. Contraste entre la régularité d’une structure répétitive, qui produit une impression d’immuabilité, et la complication de formes irrégulières, improvisées et changeantes où domine l’impression du mouvement et de la vie. Contraste entre l’ordonnancement de la figure globale, qui impose son schème à la vision, et le caractère hasardeux des traces locales, qui offre à l’imagination le loisir d’y percevoir autant de silhouettes qu’il lui plaît – comme les formes improbables d’un nuage suggèrent, soudain, l’évidence d’une ressemblance que le hasard seul a sculptée. Contraste, enfin, entre l’impression graphique, qui relève de l’initiative de l’artiste, et l’expression sauvage dont le végétal est lui-même la source. Heureux contrastes, où se conjuguent ordre et désordre, forme et matière, immuabilité et changement, nécessité et hasard, art et nature.
Dans le second type de productions, on accède à l’ossature intime et singulière du végétal. Impressions radioscopiques, qui nous montrent qu’au sein d’une espèce, tout est toujours identique, au détail près. Mais le détail fait la différence – toute la différence –, interdisant le passage de la ressemblance à l’identité. Principe des indiscernables : « on ne trouvera point deux feuilles dans un jardin (…) parfaitement semblables » (Leibniz, Réponse à Clarke, 1716). Ce que fait voir et donne à penser la série des impressions de feuilles, c’est que la ressemblance ne permet pas d’identifier ; elle permet de classer et nommer : bananier, phytolacca americana, pistachier térébinthe, gentiane. L’identité, infra-spécifique, est toujours singulière, momentanée. L’empreinte végétale est l’indice d’une singularité, tout autant, sinon plus, que la marque d’une appartenance – par quoi, elle s’apparente à l’empreinte digitale, propre à chacun, mais commune, en tant que telle, aux seuls êtres dotés de mains. C’est à rendre sensible l’articulation de ces deux plans, où l’on peut voir la signature même de la vie, que s’emploient les impressions végétales de Bernard Pénalba.
Vincent Piquemal